" Vues de Toulouse #2"
Yvan Poulain
Entre 1825 et 1848, la manufacture de faïence fine Fouque et Arnoux réalisera à Toulouse puis à Saint-Gaudens, une série de 36 assiettes imprimées présentant des lieux publics emblématiques de la cité toulousaine. D’une grande diversité (monuments civils et religieux, rues, bâtiments à caractère industriel…), ces pièces de vaisselle, documentent avec détail l’histoire de la ville au début du XIXème et permettent d’en apprécier les modifications, constituant parfois l’unique témoignage visuel de lieux disparus ou projetés.
Les artistes Odile Fuchs et Sylvain Mille sont partis de cette importante série, pour donner une suite aux Vues de Toulouse, projet plastique et photographique initié en 2013 par le musée Paul Dupuy, jouant de la confrontation de ces décors gravés avec les bouleversements opérés dans la ville. Un jeu de va et vient visuel qui autorise l’autopsie des transformations réalisées et porte un regard renouvelé sur les décors imprimés de la célèbre faïencerie toulousaine.
Artiste plasticienne habituée à travailler dans et avec l’espace public, Odile Fuchs a réalisé en 2013 pour le musée Paul Dupuy, un ensemble de 12 affiches sérigraphiées rose fluorescent reproduisant une partie des gravures originales du service réalisé par les Fouque-Arnoux. Chaque image était alors agrandie, laissant voir sur le papier ou l’adhésif qui la portait, quantité de petits détails, peu visibles à l’œil nu dans les assiettes anciennes. Pour cette première édition, l’affiche était rendue à la rue, collée à proximité des lieux dont elle faisait référence, adaptant doucement son format aux supports qui voulaient bien l’accueillir.
Redonner à voir le décors des ailes.
Pour Grisolles, Odile Fuchs a choisi dans les salles du musée, de monter un dispositif qui tient tout à la fois du module d’exposition et du laboratoire. Elle y a laissé les matériaux de ses pérégrinations et de ses glanes sur le village. Pendant plusieurs semaines, l’artiste s’est fait connaître des grisollais, leur demandant de lui présenter les faïences à motifs historiés qu’ils possédaient. De ce précieux processus relationnel engagé avec eux, elle a ramené une série d’images vidéo, répondant à un même protocole de fabrication. L’assiette, posée sur un tissu noir unifiant les prises de vues, est remplie délicatement d’un fond de lait qui en fait disparaître la scène historiée. Débarrassée un temps de ses paysages et personnages, la faïence laisse alors entrevoir le jeu sérié des motifs de ses ailes, enlacés en un délicat ruban mélangeant éléments floraux et animaux.
Rien que pour la période toulousaine des Fouque-Arnoux, de 1825 à 1832, on recense près de 8 motifs différents, de la croix de Toulouse en médaillon aux fleurs stylisées disposées en couronnes. Motifs auxquels il faut rajouter les 7 variations de la marque «Valentine» à Saint-Gaudens, de 1832 à 1848, et les 11 décors d’ailes imprimées « Henri Fouque » réalisés de 1850 à 1864.
Pour autant, le processus mis en place par Odile Fuchs cherche moins à créer un inventaire des décors d’ailes sur la commune, qu’à mettre en place un protocole qui oblige le spectateur à regarder le travail décoratif de l’assiette dans son ensemble. Une sorte d’exercice du voir qui vaut pour la faïence comme du reste des arts, et qui oblige à regarder ces objets dans leur grande diversité.
Les transformations de la ville
Le photographe Sylvain Mille a lui choisi de partir des images du service des monuments de Toulouse pour en réaliser sur site, une photographie d’aujourd’hui. Les images produites sont présentées au côté des assiettes, proposant ainsi une redécouverte de Toulouse et des pièces en faïence issues de la série.
Pour s’approcher au plus près des gravures originales, Sylvain Mille a photographié les lieux à l’aube, à l’heure où la lumière émerge de la nuit et où la ville encore endormie, s’habille de douces couleurs. Les rues à demi vides et sages de la cité toulousaine offrent à cette heure une impression de temps suspendu, comme en apesanteur. Vidés du mouvement de la foule et des automobiles, sites et architecture semblent baigner hors du temps, dans un moment arrêté qui ne demande qu’à repartir. Ce mouvement de suspension presque irréel est déjà présent dans les œuvres originales. Bien que mécanique, la photographie répond autant que la gravure, dans sa tentative de magnifier le réel, au jeu des adaptations et des petits arrangements.
L’exposition est complétée par la présentation d’un panorama de faïences et de porcelaines réalisées par la manufacture Fouque & Arnoux au XIXe siècle. Grâce à une sélection d'assiettes effectuée par Marie-Germaine Beaux-Laffon, spécialiste de la célèbre faïencerie toulousaine, cette présentation tentera de montrer les sources utiles à la création des fonds d’assiettes historiés.